Nos accidents ont-ils un sens ?
Nos accidents et nos syndromes d’anniversaire (morts violentes, maladies fulgurantes, suicides…) ont-ils un sens ? Un article d'Emmanuel Ratouis pour Généasens
Certains pensent que tout est écrit, que chaque chose, chaque évènement de nos vies est inscrit quelque part dans un grand rouleau. D’autres au contraire, peut-être par une volonté vitale de croire en leur libre arbitre, réfutent toute forme de croyance déterministe.
Entre les deux, j’ai cherché la voie de l’équilibre. Je ne suis pas convaincu, par exemple, que tous ceux qui ont été emportés par la vague d’un tsunami ou une coulée de boue fulgurante étaient prêts à mourir, qu’ils avaient achevé leur parcours de vie, contrairement aux rares survivants qui par miracle, juchés sur un quelconque promontoire, ont échappé à la faucheuse. Je ne suis pas certain que tout cela dispose d’un sens précis. Par contre ce que je sais avec certitude, c’est que ce genre de catastrophe « injuste » aura des conséquences sur bon nombre de survivants. La date anniversaire de la catastrophe s’inscrira pour des décennies et parfois même davantage dans l’inconscient collectif pour constituer un permanent et difficile cap à franchir. Si certains corps ne sont pas retrouvés, les deuils correspondants seront souvent impossibles à réaliser. Et ainsi, des cercles vicieux s’enclencheront, conduisant certains survivants ou descendants de ces mêmes survivants à rejoindre prématurément leurs morts. De funestes destins se dessineront parfois pour ceux qui auront été désignés par le clan familial pour maintenir « à tout prix » le lien avec ceux qui ont injustement perdu la vie dans ces circonstances tragiques et sans qui on ne serait pas là.
Inversement, dans mes investigations, je n’ai cessé de rencontrer des accidents qui faisaient sens, des accidents dramatiques aux circonstances totalement improbables qui montrent clairement que pour parvenir à se blesser ou à mourir, certains ont déployé des trésors d’imagination inconsciente qui ne laissent aucune place au hasard. Et j’irais même bien au-delà, en osant affirmer que ces trésors d’imagination inconsciente révèlent un sens caché de nos existences pour qui sait les percevoir, comme si un « gentil » ou « méchant » organisateur prenait le contrôle parfois de nos éphémères destinées. Et moi l’agnostique, ça me rendrait presque croyant en une logique transcendante supérieure qui régirait nos existences. Cette logique est le plus souvent transgénérationnelle, preuve que quand nous débarquons sur terre dans un clan familial donné, nous héritons de mémoires spécifiques liées au vécu de certains ancêtres, parmi lesquels l’un d’entre eux avec qui nous nous trouvons en lien privilégié. Ces mémoires peuvent dans bien des cas nous conduire à reprendre le fil de la vie de cet ancêtre là où il l’a quitté. Elles peuvent également nous pousser à expérimenter des stress du même ordre ou des évènements traumatiques correspondants aux dates ou aux âges anniversaire de cet ancêtre-là.
Dans mon livre, indépendamment des catastrophes naturelles a priori aléatoires, j’ai réparti les accidents que l’on s’organise pour répondre à une injonction inconsciente, en 4 catégories principales :
1. Les accidents postérieurs à un surstress ingérable ou antérieurs à un surstress programmé dans le vécu des personnes
Ces accidents sont liés à nos stress du moment étant devenu ou allant devenir insupportables. Exemples types : ma femme vient de me quitter, je viens de perdre mon emploi. Tout s’écroule autour de moi. Ma vie n’a plus de sens. C’est alors que l’accident survient (postérieurement au stress)… Un enfant est forcé de suivre des stages de compétition loin de chez lui. Il se « fabrique » des accidents juste avant chaque stage pour ne pas y participer (antérieurement au stress)… Un homme doit partir à la guerre. Il pressent qu’il n’en reviendra pas. C’est alors qu’il se blesse ou se tue accidentellement (antérieurement au stress). L’origine de ces accidents est évidemment la plus simple à identifier. Pour autant, celui qui en est la victime y parviendra rarement seul, puisque, par nature, c’est le caractère insupportable de son stress (qu’il ne peut regarder en face !) qui l’aura conduit inconsciemment jusqu’au drame (en cachette de son cerveau gauche).
2. Les accidents liés une empreinte de conception, de gestation ou de naissance négative
On trouve là tous les enfants non désirés ou ayant posé un gros problème durant la gestation. L’enfant arrive dans un contexte de stress terrible (honte, viol, guerre…). Sans lui, c’eut été tellement plus simple ! A-t-il fallu choisir à un moment entre la mère et l’enfant ? La mère est morte en couches… On découvre qu’on attend des jumeaux. L’un des deux est en trop ! Ce genre d’empreinte négative (et difficile à effacer) peut conduire celui qui en est le dépositaire à risquer sa vie régulièrement pour réparer le « problème » que sa venue au monde a posé. Il peut avoir un accident à l’âge qu’avait l’un de ses parents lorsqu’il a souffert de son arrivée, par exemple.
« Choisir » un métier à risque : j’ai dérangé, ne vous inquiétez pas, je vais m’efforcer de disparaître…
Il m’a fallu plus de vingt ans pour comprendre que les métiers à risque vont souvent de pair avec un désir initial de mort sur l’enfant de la part de l’un ou l’autre des parents ou des deux. Nous sommes programmés pour ne pas comprendre ce qui nous touche de près. Notre conscient est tellement habile à nous masquer l’influence de notre inconscient. Et plus cela nous concerne, plus c’est puissant et évident, moins nous le comprenons !
Pour aller un peu plus loin dans le décryptage, il faut s’intéresser à la symbolique : que raconte le contexte de ce métier à risque ? S’il se déroule dans les airs ou en montagne, il faudra considérer que se rapprocher du ciel, c’est pour nous qui sommes issus de deux mille ans d’éducation judéo-chrétienne, se rapprocher du Père. En première piste, on ira donc plutôt chercher le manque de père ou le conflit au père. Dans ce cas, le père peut être présent physiquement, mais il est vécu comme absent car les relations sont inexistantes ou conflictuelles. Son enfant lui a posé problème. Il peut s’agir d’un père violent. La première question à se poser et qui peut expliquer bien des choses est la suivante : « Qu’aurait été la vie de mon père si je n’avais pas existé ? »
Nos plus lointains ancêtres ont toujours considéré le ciel comme le lieu des esprits, du repos des âmes. Par conséquent, il faudra également explorer la piste du deuil non fait. Si au contraire, je tiens à prendre des risques sur la mer ou sous terre en pratiquant la spéléologie, il faudra par opposition chercher une problématique à la mère. Quel problème ma conception lui a-t-elle posé ? Quel secret cache-t-elle ? « Pourquoi passons-nous tous nos étés à la Faute-sur-« mère » ? »
L’hypothèse que je formule est la suivante : plus le problème posé aux parents par l’enfant sera important dans leur ressenti, plus sa prise de risque sera grande par la suite. Selon sa problématique, il pourra alors aller jusqu’à mourir dans les airs ou en montagne, sur l’autel symbolique de son père, ou bien en mer ou sous terre, sur celui de sa mère… Par ailleurs, il existe évidemment bien d’autres façons de prendre des risques comme tout simplement la conduite automobile. Qui conduit vite dans la famille ? Qui s’autodétruit en consommant de l’alcool ou de la drogue ? La prise de risque ou les conduites suicidaires peuvent s’exprimer de bien d’autres manières pour qui n’a pas eu accès à la montagne ou n’a pas eu les moyens de devenir pilote... Je pense aux métiers qu’offre l’armée par exemple, ainsi qu’aux pompiers.
En prenant des risques, l’enfant cherche donc inconsciemment à réparer le problème qu’il a posé. Si je meurs, qui j’arrange ou qui je libère dans l’arbre généalogique ? Si je prends régulièrement des risques inconsidérés, il sera bon, un jour ou l’autre, de se poser la question de l’origine du mobile inconscient !
Mon oncle s’est immolé
Chloé est venue me voir il y a plusieurs années. Beaucoup de signes l’envoyaient vers sa grand-mère paternelle, Yvette avec qui elle semblait en lien direct, et son premier fils, Jean-Philippe, né hors mariage dans un contexte de scandale immense.
Jean-Philippe qui avait posé un énorme problème à ses parents en venant au monde « choisit » de disparaître de manière tragique : gérant d’un bar, il venait d’avoir à faire à un contrôleur de l’Urssaf qui l’avait menacé d’un important redressement. N’étant pas dans une situation financière facile et se trouvant par ailleurs « coincé » dans un puissant conflit au père, donc à l’autorité, Jean-Philippe alla trouver ce contrôleur et menaça de s’asperger d’essence et de s’immoler par le feu s’il persévérait. Essuyant une fin de non recevoir, il revint quelques jours plus tard, s’aspergea d’essence, alluma son briquet et mit ainsi fin à ses jours devant lui. Ce qu’il faut souligner, c’est que moins d’un mois plus tôt, Jean-Philippe avait retrouvé son père biologique après des années de recherches. Plein d’espoir, il était allé le trouver. Et ce dernier l’avait éconduit sans le moindre ménagement en le traitant de « Sale bâtard ! » Le refus du contrôleur de l’Urssaf de reconnaître la difficulté de sa situation, fut le refus de trop. Face à l’attitude de ce père symbolique, c’est comme s’il devait endurer une deuxième fois la blessure de rejet paternel.
Comme on l’a vu dans d’autres histoires, Jean-Philippe qui était né avec un projet-sens très défavorable, son père ayant désiré sa mort, n’a fait que suivre son « programme » à la lettre. Ainsi, il avait remboursé sa dette de non-amour : « Vous ne vouliez pas de moi, je sais que je vous ai pourri la vie, ne vous inquiétez pas, je vais disparaître… »
Parmi les traces que cette histoire a laissées dans la vie de Chloé, on peut citer celles-ci : lorsqu’elle se maria, les choses s’organisèrent « magiquement » pour qu’elle s’installe dans l’appartement de son oncle Jean-Philippe. Elle alla même jusqu’à accoucher dans la clinique lyonnaise où il était mort dans d’atroces souffrances, deux jours après s’être immolé. De plus, les choses, décidément parfaitement organisées, se déroulèrent à nouveau à merveille puisqu’elle accoucha d’une fille, Noémie, dix ans et quatre jours très exactement après la date anniversaire du décès tragique de Jean-Philippe. Dans le système familial, Jean-Philippe, l’enfant sacrifié, devait absolument être ramené à la vie. Son deuil n’avait pas pu être fait, du fait des circonstances de sa mort, notamment par Yvette. La mission de Chloé, et maintenant celle de Noémie, consistait à le ramener au cœur du système familial. Avec cette prise de conscience, il était évident qu’un travail de libération de cette mémoire devait être entrepris au plus tôt. Ainsi, un éventuel syndrome d’anniversaire et bien d’autres formes de répétitions pourraient sans doute être évités.
3. Deuil non fait
Si l’un des parents (ou les deux) ne parvient pas à réaliser le deuil d’un être cher, alors, l’un des enfants risque fort d’hériter de la délicate mission de maintenir le lien avec le regretté disparu. Au fil du temps, le poids associé à cette mission pourra se révéler trop lourd à supporter. Exemples types : le jumeau mort in utero, l’enfant de remplacement né après une fausse couche tardive, un enfant mort à la naissance ou en bas-âge… L’accident pourra se produire lorsque celui qui porte ces drames atteindra l’âge qu’avait l’un de ses parents quand l’enfant à qui il « doit la vie » est mort. Principaux prénoms associés : Angèle, Armel, Bruno, Gilles, Gisèle, Grégoire, Kevin, Kim, Maurice, Morgan, Raphaël, René, Solange, Sylvie, Steevie, Tristan, Vickie, Vivien, Yves, Zoé…
Yvan
Yvan est guide de haute montagne depuis une dizaine d’années. Il vient me voir pour tenter de percer le mystère d’un accident étrange qui lui est arrivé 6 mois plus tôt et au cours duquel il aurait facilement pu passer de l’autre côté de l’existence. Travaillant sur un toit, il est allé se positionner au-dessus d’une petite trappe, point faible de la verrière qu’il était censé nettoyer. Cette trappe n’avait pas été verrouillée correctement par une équipe d’ouvriers travaillant sur le même chantier. Mais de l’avis même d’Yvan, compte tenu de sa faible largeur, le simple fait d’avoir pu ouvrir les bras par un geste réflexe lui aurait épargné une chute de 6 ou 7 mètres. Plusieurs vertèbres abimées, deux mois d’hôpital, le double de rééducation, Yvan aurait pu s’en sortir beaucoup moins bien. Il est passé tout près de la mort ou de la paralysie.
Cet accident s’est déroulé le 2 Novembre, le jour des morts (comme par hasard, le week-end de la Toussaint est traditionnellement le plus meurtrier de l’année sur les routes de France). Déjà sensibilisé par la lecture de mon livre « pourquoi j’aurais dû mourir en montagne » à la question des syndromes d’anniversaire, Yvan a conscience que son accident par sa date et son caractère improbable raconte une histoire qui n’a rien à voir avec le hasard.
Ma première question : « De quand date ton envie de devenir guide de haute montagne ? »
« Vers 1994, 1995 ? »
« Qu’est ce qui t’a poussé à franchir le pas ? »
« Ma mère ! »
Du coup, ces réponses fort claires -ce n’est pas toujours aussi limpide, loin s’en faut !-m’envoient vers l’arbre maternel avec une question très simple : « Qu’est-il arrivé à ta mère dans la période d’avant 1994 ? »
Yvan ne met pas longtemps à me répondre… « Elle a vécu une série de deuils qui a commencé en 1991. D’abord Serge, le fils aîné de son frère aîné qui était aussi mon parrain. Il est mort écrasé par sa propre voiture. Il s’est interposé alors que des voyous essayaient de lui dérober sa voiture. Ces derniers n’ont pas hésité à lui rouler dessus. Ce fut un véritable drame familial. Serge était très aimé. Le clan familial maternel était plutôt du genre soudé. Après cette mort injuste et violente, tout s’est écroulé comme un château de cartes. Ne s’en étant pas remis, le père de Serge est mort près d’un an plus tard. Puis en 1993, l’autre frère de ma mère, si bien qu’en l’espace de deux ans, ma maman a perdu son neveu chéri et ses deux seuls frères. Environ un an plus tard encore, son père est décédé ! C’était en 1994… »
Tout s’éclaire. Les deuils en série devenaient insupportables. Après avoir perdu son neveu préféré, ses deux seuls frères puis son père, la mère d’Yvan lui demande d’aller là-haut vers le ciel, le plus régulièrement possible pour maintenir le lien avec les disparus. En cela, le métier de guide de haute montagne constitue une solution parfaite à sa problématique. Pour rembourser sa dette, Yvan va donc accepter l’injonction inconsciente de sa mère, quitte à y laisser sa vie, à son tour.
Enseignement :
Son accident surviendra dans sa 36ème année. Sa mère a eu 36 ans entre le deuil de son neveu adoré et de son frère aîné. Je ferais donc la supposition suivante : pour Yvan, en dette et en lien avec sa mère, il s’opère dès l’âge de 35 ans une relecture inconsciente des stress non digérés et vécus par sa génitrice au même âge. De telle manière que le poids des deuils non faits de celle-ci était devenu trop lourd à porter à partir de 36/37 ans. L’accident d’Yvan fait donc sens. Il s’agit d’un syndrome d’anniversaire dont le but caché est de lui permettre de ne pas revivre cette série noire et accessoirement d’aller rejoindre prématurément ceux qui sont déjà là-haut, au royaume des morts, et dont l’absence pèse infiniment sur le clan familial. La seule clef possible : réaliser enfin ces deuils en suspens.
4. Mémoires héritées de fautes terribles inavouables ou de vécus indicibles associés
Voltaire a écrit : « L’hérédité du suicide à un âge précis, a été remarquée bien des fois. Un monomaniaque, dit Moreau de Tours, se donne la mort à 30 ans ; son fils arrive à peine à 30 ans qu’il est atteint de monomanie et fait deux tentatives de suicide… Un dégustateur qui s’est trompé sur la qualité d’un vin, désespéré, se jette à l’eau. Il est sauvé. Mais plus tard, il accomplit son dessein. Le médecin qui avait soigné ce nouveau Vattel, apprit que son père et un de ses frères s’étaient suicidés au même âge et de la même manière. »
Je pense que l’on peut aujourd’hui apporter une réponse claire à Voltaire au sujet de la manière dont s’organisent les syndromes d’anniversaire (qu’il s’agisse d’accident, de suicide ou de tout autre évènement traumatique intervenant à une date ou à un âge signifiant).
Lorsqu’on se trouve en lien avec un ancêtre qui a subi ou commis l’innommable à un âge donné, on naît avec l’information que ce cap-là sera difficile à franchir. Qu’on hérite d’une mémoire de victime ou de bourreau, le résultat sera souvent le même : plutôt mourir plutôt que de risquer de commettre ou de subir cet enfer. Certaines maladies fulgurantes peuvent ainsi nous convenir. L’accident peut constituer également une solution « gagnante ». Voici 2 histoires parmi bien d’autres pour illustrer le propos. Le phénomène qui semble un rien abstrait est malheureusement infiniment concret et quelle plus grande tragédie que de mourir au nom d’une faute ou d’un traumatisme vécu il y a des décennies par l’ancêtre dont nous sommes revenus jouer la partition, et par conséquent la prolonger ou la solutionner ?
L’accident improbable de Serge :
Serge est né le même jour que sa tante Sylviane. Cette dernière est aussi sa marraine. Porteuse d’une mémoire de viol et l’ayant probablement subi elle-même, Sylviane s’est suicidée à 29 ans et 10 mois. Plusieurs informations attestent la réalité de ces traumatismes subis parmi lesquels le fait que son grand-père paternel ait eu des pulsions pédophiles. Entre autres éléments, un des fils de Sylviane qui porte le prénom de ce même grand-père ressent également ce type de pulsions régulièrement, un autre de ses fils s’appelle Jean-Baptiste, celui qui porte le poids de la faute, il vit seul et fabrique ou répare des violons, l’instrument de musique qui soigne le mieux les mémoires de viol (dans « Aleph », le dernier livre de Paulo Coelho, son héroïne déclare lors d’un diner mondain au sujet de son penchant pour le violon : « j’ai commencé à en jouer à 12 ans parce que j’ai été violée à l’âge de 10 ans ! »).
Serge s’est toujours senti très lié à sa tante Sylviane. Sa mort fut un choc pour lui ainsi que pour le clan familial. Le sujet évidemment sensible devint rapidement tabou.
Un jour, Serge se trouve au volant de sa voiture à un carrefour. Il s’arrête au stop et voit très clairement sur sa gauche un véhicule qui se rapproche. Il n’a aucune raison d’avancer, pourtant, il enclenche la première et démarre. Le choc est inévitable. Parechoc arraché, pas mal de dégâts matériels. Serge a beau se confondre en excuses, le conducteur du véhicule percuté est entré dans une colère immense.
Plus tard, Serge, en avançant dans ses compréhensions découvrit en songeant à ce 5 novembre très particulier, qu’il s’agissait de la Sainte-Sylviane. Par ailleurs, et ce n’est pas la moindre des « coïncidences », Serge avait 29 ans et 7 mois ce jour-là !
Prétendre que le lien de Serge avec le sort et la trajectoire de vie de sa tante préférée Sylviane n’existerait pas ne serait tout simplement pas raisonnable. D’autant que Serge s’est toujours trouvé des affinités avec le fils de cette dernière. Lui-même, comme son cousin, a plusieurs fois ressenti des pulsions pédophiles qui l’ont effrayé. Voilà donc un accident qui ne doit absolument rien au hasard. Récemment, pour dire au revoir à tout cet héritage, Serge qui joue du violoncelle (afin de soigner « celle qui a été violée ») est allé jouer sur la tombe de Sylviane. Ce fut un moment puissant et libérateur pour lui.
Enseignement :
On voit jusqu’où peut aller se nicher l’inconscient familial. Le savoir-faire, le savoir-organiser dont il est capable est sans limite. Puisqu’il peut conduire un homme parfaitement lucide qui voit une voiture arriver en face de lui à accélérer pour provoquer un accident dont le sens conscient lui échappe totalement. Et tout cela au même âge et le jour de la fête de l’ancêtre avec qui il est en lien direct. Cela signifie que notre cerveau inconscient dispose du calendrier complet des fêtes et de toutes les dates importantes de notre histoire nationale (de la Saint Barthélémy aux grandes guerres des 19 et 20ème siècles, à leurs dates-armistices…). Cela signifie également l’importance des dates dans l’analyse a posteriori d’un accident. Entre autres pistes, il faut toujours veiller à observer le saint-calendaire concerné.
Jean et Violaine
Jean est venu me voir il y a sept ans. Il n’a qu’un seul frère. Tous deux ont connu un grave accident à l’âge de 48 ans. Leur père aussi a failli mourir dans un accident à 48 ans. Le grand-père paternel de Jean a quitté sa femme à 48 ans. Ce fut un traumatisme familial qui introduisit par ailleurs le manque de père dans l’histoire familiale. La question que Jean me posa fut la suivante : « Ces évènements sont-ils liés ? » Après avoir remonté son arbre, je lui répondis qu’il était probable que le véritable traumatisme se trouve au-dessus. Une séparation même difficile ne justifie pas qu’on manque de se tuer sur deux générations au même âge. Comme je l’ai dit précédemment, il faut en règle générale trois ou quatre générations pour obtenir les manifestés les plus puissants suite à des traumatismes. Je pense par conséquent que le « coupable » est plutôt le père ou un grand-père de celui qui a quitté sa femme à 48 ans. Qu’a-t-il commis autour de cet âge d’innommable, d’impensable ? Le fait que Jean soit marié à Violaine laisse entendre une histoire de viol et peut-être d’inceste qui s’est engrammée dans les mémoires de ses descendants. D’autres indices qu’il est inutile d’évoquer penchent pour cette hypothèse.
C’est par conséquent pour ne pas commettre le même « crime » que les loyautés familiales invisibles ont conduit le grand-père de Jean à quitter sa famille avant qu’il ne soit trop tard. Pire, pour les deux générations suivantes, c’est « à cause » de cet ancêtre que, par la suite, les hommes ont manqué de se tuer au même âge. Et c’est ainsi que Jean, en correspondance avec sa problématique familiale, a « choisi » un métier à risque souvent relié à une tonalité de manque de père. En allant chercher dans l’arbre de Violaine, il est presque certain qu’on y trouverait une histoire de viol et de haine. Aujourd’hui, Jean, qui est sophrologue (celui qui, ayant appris à vivre avec sa propre souffrance, peut aider les autres à gérer la leur) a décidé de se tourner aussi vers la psychogénéalogie. Cette version de son histoire familiale lui a énormément parlé.
Conclusion
La rencontre avec les histoires de nos ancêtres, les fils que l’on commence à entrevoir au-dessus de nos têtes, les liens que l’on commence à réaliser entre eux et nous, tout cela devrait nous diriger vers un chemin d’humilité et d’amour. La clef d’un voyage réussi est, du reste, toute simple : elle consiste à faire la paix avec eux, à réaliser que n’ayant pu accéder à leur dimension inconsciente, ils n’ont disposé que de très peu de marge de manœuvre. Au bout du chemin, il s’agit d’éprouver de la compassion envers eux, de la reconnaissance quand bien même ils n’ont pas toujours bien agi selon les critères établis de la morale sociétale. Car nous leur devons d’avoir été conviés au banquet de la vie. Sans ce grand-père si terrible, cette arrière-grand-mère si austère, nous ne serions pas là ! Et peu importe ce qu’ils ont accompli durant leurs vies. Nos ressentiments, nos culpabilités vis-à-vis d’eux seront toujours contre-productives. A l’origine d’un bourreau, il y a très souvent une victime.
Quelle plus grande tragédie que de mourir au nom d’une faute ou d’une souffrance subie par l’ancêtre avec qui nous sommes en lien ? Ne doit-on pas voir en cette vie achevée prématurément par un accident ou une « maladie anniversaire » un échec ?
Peu importe le biais, seule la libération compte. Et en dépit de ce que bien des sceptiques pourraient penser, toutes sortes d’avancées sont possibles à tout âge de la vie. Si on ne peut porter un jugement défavorable sur quiconque du fait du peu de marge dont chacun dispose le long de sa trajectoire de vie, au moins peut-on considérer avec bienveillance le fait que par le miracle des méandres de nos cheminements intérieurs, nous puissions nous trouver en mesure de déprogrammer parfois le pire, c'est-à-dire une mort organisée au millimètre par loyauté à l’ancêtre avec qui nous sommes en lien.
Bien à vous
Bonne route
L'auteur
Emmanuel Ratouis a connu plusieurs vies, plusieurs métiers. D'abord dans le conseil aux entreprises, puis moniteur d'escalade et guide de haute montagne, il a alors ouvert de nombreux itinéraires dans le monde entier. Spécialiste de l'escalade et du ski-extrême, ses interrogations quant à ses prises de risques l'ont conduit à travers un long cheminement personnel dans lequel la psychogénéalogie a joué un rôle majeur, à une forme d'apaisement, puis à devenir thérapeute lui-même. Spécialiste des liens entre les histoires familiales et les prises de risques de toutes sortes, il partage aujourd'hui sa vie entre les expéditions lointaines, son métier de guide de haute montagne, l'écriture et l'analyse transgénérationnelle
Voir aussi Vidéo
- Nos accidents ont-ils un sens?
Emmanuel RATOUIS
Bibliographie
- Pourquoi j'aurais dû mourir en montagne ?
Emmanuel RATOUIS - Cent histoires pour mieux comprendre l'inconscient familial qui nous gouverne
Emmanuel RATOUIS - Nos accidents ont-ils un sens ?
Emmanuel RATOUIS
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