Du secret toxique à l’intimité nécessaire
Un article de Marie-José Sibille - psychothérapeute - pour Généasens
Chaque individu, de part sa naissance à un instant précis dans un lieu donné, est un point focal, un lieu de rencontres de multiples influences. Il en connaîtra certaines, il en ignorera la plupart.
La psychogénéalogie est une des manières d’essayer de percer le mystère des origines, avec parfois le risque de s’y perdre. Il s’agit, pour la définir de manière simple, de reconnaître l’influence sur notre développement psychique de la vie de nos ancêtres.
Quand nous découvrons cette piste, nous devenons parfois des archéologues un peu obsessionnels, et surtout orientés :
- Obsessionnels : car nous nous mettons à chercher partout dans notre histoire familiale et autour de notre origine le trésor fabuleux, le fameux secret qui serait la réponse à toutes nos interrogations
- Orientés : car la mémoire étant souvent pessimiste, nous focalisons sur les cadavres dans le placard, les conflits non résolus des fantômes, en oubliant la richesse de notre héritage. Les « mal morts » nous vampirisent et nous empêchent de vivre. Mais peut-être les empêchons nous aussi de bien mourir, qui sait ?
Cette focalisation sur l’ombre familiale peut d’ailleurs être le contre-pied d’une idéalisation préalable, une autre forme de mémoire sélective qui nous rend nostalgiques d’un monde, celui de l’enfance souvent, mais aussi celui de nos aïeux, d’autant plus merveilleux qu’il n’a jamais existé en tant que tel dans le réel. Je ne veux bien sûr pas dire par là que les enfances heureuses cela n’existe pas, juste que notre mémoire, corporelle, émotionnelle et mentale s’imprègne en fonction de facteurs complexes qui n’ont pas grand-chose à voir avec la mémoire d’un ordinateur.
En attendant, le temps passe, et nous risquons de devenir superstitieux et craintifs dans notre vie, supposant des influences multiples, croque-mitaines, fantômes et méchantes sorcières, toujours hostiles et impossibles à définir précisément. Cela ne veut pas dire que d’autres dimensions du réel, moins rationnelles, moins visibles, n’existent pas. Mais c’est le signe, ici et maintenant, qu’il y a des deuils à accomplir, des morts à renvoyer dans leur royaume, une vie pour soi à réintégrer ou souvent à s’approprier, par le biais, par exemple, d’un travail thérapeutique.
Car pendant ce temps, nous sécrétons nous- mêmes dans notre vie et auprès de nos descendants, du « mauvais lien », de la « mauvaise communication », c’est-à-dire étymologiquement de la malédiction (mauvaise parole), qui risque d’empoisonner leur propre parcours. Avec le prix à payer, pour nous, de rajouter la culpabilité envers nos descendants à la peur des honteux secrets de nos ancêtres.
La Psychogénéalogie donc, peut devenir addictive, et par là-même toxique, là où elle devait être avant tout un outil thérapeutique intéressant.
Comment la quête de l’histoire peut-elle être utile, à quel moment devient-elle paralysante, et pourquoi ?
Quand je préparais cette conférence, j’ai fait un rêve. Il me parle de moi bien sûr, mais aussi de ce que je voudrais faire passer ce soir : « J’entre en possession de la maison de mon enfance. Je sens bien que d’autres auraient aimé l’avoir, mais c’est moi qui en hérite. Elle est belle et lumineuse. Elle a de grands murs blancs où j’imagine déjà toutes les étagères que je vais installer pour mettre nos livres. Il y a aussi des pièces remplies de meubles à tiroirs, où je pense trouver des trésors venus du passé ; par exemple des médailles de guerre de mes glorieux ancêtres ! Mais chaque fois que j’ouvre un tiroir, je tombe soit sur des souvenirs de moi, des cahiers, des travaux que j’ai réalisé à la fac ou autres, soit, encore plus joyeusement, sur des souvenirs de mes enfants, quand ils étaient plus petits. Dans le rêve, mon sentiment est très clair : mes racines maintenant, c’est mon expérience de vie et ma descendance, l’arbre que je suis devenue et non celui dont je suis une graine. Il y a aussi des tiroirs que je n’arrive pas à ouvrir, mais je n’insiste pas. Je sais que c’est là que se trouvent les secrets de mes ancêtres que je ne connaîtrais jamais. C’est très léger. Je me dis que je vais téléphoner à Emmaüs pour qu’ils emportent ces meubles là. A travers la maison, je récupère le meilleur de mes ancêtres, je leur laisse le reste, avec reconnaissance … et, je dois le dire, un certain soulagement 
Vos réactions
Commentaire anonyme | 19/10/2014
Une maladie étrange style syndrome de fatigue chronique m'a clouée chez moi 2 ans en 2000 après des années d'épuisement silencieux. . Mon intuition alors m'a guidée vers "Aïe mes aïeux" et j'ai eu la certitude que ma "maladie" trouvait sa source dans un secret de famille, un au moins. Je me souviens l'avoir évoqué au téléphone avec certains membres de ma famille mais pas d'écho. Bref, au même moment mon fils déclarait des symptômes inattendus dont Anne Ancelin a écrit un livre aussi. J'ai cherché seule le fil que je pouvais tirer doucement pour espérer commencer à démêler cette histoire. Sans parler de mes rêves ni de mon contexte d'extreme fatigue. J'ai continué à me laisser guider sans pouvoir créer sérieusement l'arbre transgen. Le silence de ma famille vivante est exemplaire. La curiosité érigée par certaine comme le défaut suprême. Et la circulation de la parole se fait sur les autres. Les anecdotes familiales donnent raison ou tort sans plus. Dans ce contexte, je persévère : est-ce obsessionnel ? J'ai appris à faire confiance à mes rêves. Ils m'ont nommé l'innommable l'impensable en 1997. Puis m'ont guidée vers d'autres événements familiaux non-dits,12 ans plus tard. Ma psy de l'époque en 1997 a posé une belle chape de plomb dessus. J'avais tellement honte au réveil de ce rêve. Il faut bcp d'énergie pour persévérer tout seul sur le chemin de cette connaissance-là. Il ne s'agit pas de transparence obligée imposée par moi mais de désir de connaissance. Maintenant que j'ai pu savoir par d'autres moyens que par ma propre famille, ce qui constituait mon épuisement chronique, le-s secret-s particulièrement hérités, ma santé s'est très nettement améliorée. Et maintenant que je sais certaines choses demeurées dans l'obscurité , je n'ai pas de mot pour aborder certains sujets. Par contre certains sujets d'apparence anodins qui aborderaient le passé par des chemins détournés , mettent systématiquement une personne de ma famille à deux doigts de l'évanouissement. Transmettre ce que je sais ? Il le faudra , pour mes enfants. Pas pour mon ascendance murée dans le mutisme. En tous les cas les secrets de famille ça pourrit le système relationnel. Les enfants sont tenus au silence à un âge où l'enfant enregistre que silence= vérité et /ou départ précoce du système familial.
Accepter de vivre avec ce que l'on ne sait pas des cadavres dans les placards , tant qu'on n'est pas malade tous les jours , c'est OK . Autrement j'avoue que j'encourage la persévérance pour accéder à un seuil de bonne santé acceptable qui montrera une certaine digestion de l'histoire familiale polluante. J'avoue ne pas être assez courageuse pour parler direct avec mon ascendance, ni ma fratrie. Courageuse ou intéressée. M'opposer au déni ne m'intéresse plus. J'ai acquis au fil des années une liberté de parole dans ma famille qui ne juge pas , qui pose. En clair on ne peut plus m'en conter. Voilà ce que je voulais dire sur ce sujet de "dire ou ne pas dire that is the question... "
Merci de votre attention,
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