Carl Gustav Jung et le transgénérationnel.

Cet article a été écrit pour Généasens par Gilles VERTENEUIL, psychanalyste jungien et membre de la Société Belge de Psychologie Analytique.

Nous avons dû avoir des parents que cela nous plût ou non. Ils durent nous avoir maintenant que nous sommes dans leur giron. Il est mince l’espoir nôtre ou leur d’échapper au grand mal de la vie, à la semperidentité de la persistante parcelle continue dans les diversités. 

James JOYCE, « Finnegans Wake »

Carl Gustav Jung et le transgénérationnel.

Carl JUNG, Docteur en médecine est mort en 1654 à Mayence.

Carl Gustav JUNG, Docteur en médecine et en sciences naturelles, est né en 1794 et mourut en 1864.

Carl Gustav JUNG – celui qui nous intéresse pour le présent travail -, Docteur en médecine, psychiatre, est né en 1875 et mourut en 1961 à Zürich.

Quatre générations séparent le premier cité et le Carl Gustav père de la psychologie des profondeurs, le premier est son bisaïeul, le deuxième son grand-père.

Il est curieux de constater la reproduction de leurs prénoms et professions.

Bien qu’il n’ait pas connu son grand-père, Carl Gustav JUNG disait qu’il avait lui-même navigué dans son sillage ! Par ailleurs, de son grand-père maternel, pasteur « aux intérêts curieusement variés », il disait le soupçonner « d’avoir déposé un œuf peu banal dans (son) panier.» (Deirdre BAIR, « Jung, une biographie », Flammarion 2007)

Il écrit d’ailleurs dans « Ma vie », « j’ai compris l’étrange communauté de destin qui me rattache à mes ancêtres. J’ai très fortement le sentiment d’être sous l’influence de choses et de problèmes qui furent laissés incomplets et sans réponse par mes parents, mes grands-parents et mes autres ancêtres. »

Pour JUNG, notre psyché, au même titre que notre corps, est composée d’éléments qui ont déjà existé chez nos ascendants. Ce qui est nouveau dans notre existence individuelle est une « recombinaison, variée à l’infini, de composantes extrêmement anciennes ». Si nous ne cherchons pas à comprendre ce que nos aïeux ont cherché, nous risquons de ne pas nous comprendre nous-mêmes, de nous dépouiller de nos instincts, de nos racines, si bien que l’individu « devenu particule dans la masse, n’obéit plus qu’à l’esprit de pesanteur ». Si nous nous limitons exclusivement au présent, nous ne « remarquons absolument pas si et comment nos âmes ancestrales perçoivent et comprennent l’aujourd’hui, en d’autres termes, comment l’inconscient réagit ».

Conscient et Inconscient.

Ma vie est l’histoire d’un inconscient qui a accompli sa réalisation.

C’est par ces mots que JUNG commence l’ouvrage qu’il a intitulé « Ma vie ». Il parle d’un inconscient et non de son inconscient, insistant par là sur cette part qui, dans l’humain, reste universellement inconnue et tente, génération après génération, de s’incarner, de se réaliser dans le monde. C’est à partir de l’inconscient que se fait la croissance de la personnalité, il est la matrice originelle, le principe fondateur de notre développement psychique ultérieur.

Nous pouvons supposer qu’à des stades très primitifs de notre développement, il n’y avait aucune différence entre notre psyché toute inconsciente et le monde extérieur, tous deux coexistant dans un état de complète similitude, d’identité archaïque (Marie-Louise Von Franz), non-différenciation caractéristique de la mentalité primitive (participation mystique) ou encore de la prime enfance.

Au début était Chaos, écrit Hésiode dans sa Théogonie, obscurité éternelle, désordre confus bien avant l’apparition des dieux. Ce n’est que bien plus tard, après des temps d’enfantement d’Ouranos sur Gaïa, qu’une insurrection viendra, une rupture, une ébauche de conscience venue de la serpe tranchante dont Cronos se servit pour châtrer son père.

L’inconscient est un donné objectif, « un jaillissement spontané qui porte en soi sa raison d’être. […] En réalité, nous dépendons, dans des proportions angoissantes, d’un fonctionnement ponctuel de notre psychisme inconscient, de ses à-coups et de ses défaillances occasionnelles. » (« L’Homme à la découverte de son âme »). Cette entité mystérieuse et inquiétante est en même temps source de vie, de notre vie, de notre vie psychique d’où émergera une ouverture sur le monde extérieur, un champ progressif de conscience. Comme l’écrit Aimé AGNEL (« Le vocabulaire de CG Jung », Ellipses 2005) plutôt que « l’inconscient soit du non-conscient, c’est le conscient qui, en introduisant rupture et distinction, devrait se définir comme « non-inconscient » tout en remplissant un rôle dialectique de retour de l’âme vers sa source (épistrophé). »

Il est difficile de circonscrire le champ de notre conscience qui peut s’étendre indéfiniment. Toutefois, dès que ce champ atteint l’inconnu, ses limites nous apparaissent puisque confrontés dès lors à ce que nous ignorons. Il existe, comme le dit JUNG, deux groupes d’objets constituant cet inconnu : ceux qui sont extérieurs, d’une part, et qui pourraient être accessibles par les sens ; ceux qui sont intérieurs, d’autre part, et qui pourraient être l’objet de l’expérience immédiate. C’est le champ de ces données intérieures que nous appelons inconscient.

Inconscient personnel et inconscient collectif.

Du fait que l’enfant est petit, que ses pensées conscientes sont rares et simples, nous ne comprenons pas que les complications de la mentalité infantile, et leur ampleur, proviennent de son identité originelle avec la psyché préhistorique. Cet esprit originel est tout aussi présent, tout aussi actif dans l’enfant, que les stades de l’évolution physiologique de l’humanité le sont dans son embryon.  (CG JUNG, « L’Homme et ses symboles )

C’est sur cette base innée et profonde, fondement psychique universel, inconscient collectif, que se constituera plus tard, progressivement un inconscient personnel.

L’inconscient personnel est constitué de tout ce que nous connaissons mais avons oublié ou n’avons pas enregistré, tout ce à quoi nous ne pensons pas à un moment donné mais savons, ce qui n’a pas encore été réalisé en nous et qui ne deviendra conscient que plus tard, tout ce qui nous a été pénible et que nous avons refoulé.

Outre ces contenus liés à notre histoire individuelle, JUNG a constaté dans l’inconscient une part héritée, universelle, transmise de génération en génération dont les contenus apparaissent régulièrement. C’est cette part qu’il a appelée inconscient collectif. Ses contenus constituent « comme une condition ou une base de la psyché en soi, condition omniprésente, immuable, identique à elle-même en tous lieux. » (CG JUNG, « Aïon »). Il peut être considéré comme la somme de tous nos instincts ainsi que de leurs correspondants sur le plan psychique, les archétypes dont nous parlerons ci-après. Plus les couches de cet inconscient collectif sont profondes et obscures, « plus elles perdent leur originalité individuelle. Plus elles sont profondes, c’est-à-dire plus elles se rapprochent des systèmes fonctionnels autonomes, plus elles deviennent collectives et finissent par s’universaliser et par s’éteindre dans la matérialité du corps, c’est-à-dire dans les corps chimiques. Le carbone du corps humain est simplement carbone ; au plus profond d’elle-même, la psyché n’est plus qu’univers. » (CG JUNG et Ch KERENYI, « Introduction à l’essence de la mythologie »). Il est le siège du processus de compensation visant à contrebalancer les attitudes excessives du Moi, siège également du processus d’individuation par l’intégration progressive de l’inconscient dans le champ de la conscience, intégration  ne pouvant s’opérer que par une coopération effective  entre les deux instances de la psyché.

Le Docteur Michel CAUTAERTS, psychanalyste, distingue, également, un inconscient familial, qu’il définit comme « l’ensemble des comportements reliés à l’appartenance à une famille, auxquels le sujet se conforme sans le savoir. (« Je tu(e) il – Psychanalyse et mythanalyse des perversions », De Boeck 2010)

Les archétypes.

Au sein de l’inconscient collectif, un système énergétique est à la base de nos pensées, de nos représentations, de nos images, de nos émotions, de nos fonctionnements d’êtres humains. Ces noyaux énergétiques – je les appelle ainsi car ils n’ont pas de contenu propre, déterminé – ou archétypes, sont communs à l’humanité toute entière mais les expressions, les manifestations, les images qui en émanent, elles, ne le sont pas, davantage spécifiques à tel individu, tel groupe d’individus selon le vécu personnel, l’appartenance ethnique, géographique ou autre. Ainsi ont pu naître, se développer, se perpétuer des rêves, des histoires, des contes, légendes ou mythes racontant symboliquement des choses différentes mais pourtant fondamentalement un peu les mêmes à travers les âges comme au-delà des frontières.

La notion d’archétype dérive, en effet, chez JUNG de la constatation que les mythes et les contes dans le monde renferment des thèmes bien définis réapparaissant partout et toujours comme, également, dans nos rêves, idées délirantes, illusions, …. Ces thèmes sont des représentations archétypiques. Il faut distinguer l’archétype de ses représentations archétypiques ; lui, libère de l’énergie psychique sur laquelle viennent se constituer des images qui le représentent.

Avant d’établir cette notion en 1919, JUNG a eu recours à différentes expressions comme celles d’image primordiale, d’image universelle, d’imago recouvrant par là les représentations inconscientes que l’enfant se fait des êtres proches qui l’entourent, ces représentations se construisant à partir de la perception par l’enfant de ces proches mais également « selon le modèle mythologique des divinités de la famille antique. » (Aimé AGNEL, op. cit.)

L’être humain « ne naît pas tabula rasa mais simplement inconscient. Il apporte en naissant des systèmes organisés spécifiquement humains et prêts à fonctionner qu’il doit aux millions d’années de l’évolution humaine. » (CG JUNG, « Psychologie et Education »). L’archétype comprend un double versant, il est à la fois biologique et psychique.

Les images parentales que nous formons en nous au cours de notre existence, les fantasmes à propos de nos parents qui sont liés à ces images sont à distinguer de nos parents réels, tels qu’ils sont. Comme l’écrit Michel CAZENAVE, dans cette distinction, c’est-à-dire l’explicitation de notre imaginaire, il nous faut « comprendre comment, à propos de nos parents de chair, et selon les aléas de notre histoire, nous avons constitué des noyaux imaginaires ,puis comprendre comment ces noyaux, à leur tour, ont annexé les archétypes des parents, de sorte que ces archétypes y paraissent indiscernables dans le même temps qu’ils « informaient » ces noyaux et leur donnaient leur orientation particulière. » Cela signifie rendre à la réalité immédiate ce qui lui revient, voir ses parents tels qu’ils sont et non tels que fantasmés, distingués de ce qu’ils sont dans notre psyché personnelle. Les archétypes étant relativement autonomes, ils ne peuvent être intégrés sous une forme rationnelle dans la conscience mais uniquement par un processus de confrontation et de dialogue intérieur avec ses expressions oniriques, symboliques. Un travail lent et long, cheminement sur lequel chaque caillou déposé nous rapproche davantage de celui que nous sommes.

 

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